Ad vitam aeternam

Ce que dit le droit lorsque vous acceptez de vous faire prendre en photo en situation compromettante.




Que ce soit suite à un démêlé ou délibérément, ou même sans avoir conscience, il arrive parfois qu’une personne porte atteinte au « droit de l’image » ou « droit à l’image » d’une autre personne.

Les textes légaux garantissent t’ils indéfiniment ce droit ? Ou y a-t-il des situations qui le rendent inopérant bien qu’une victimisation soit clamée?

Pour tenter de répondre à cette question, il convient d’abord de faire la lumière sur ces deux notions qui prêtent à confusion dans l’esprit du public.

Tant s’en faut d’une antinomie, le droit à l’image et le droit de l’image sont deux notions très voisines mais différentes ; d’autant plus que le premier est un droit personnel et le second, un droit réel.
En effet le droit de l’image suppose, pour tout usage d’une image, l’autorisation de l’auteur de cette image. En revanche le droit à l’image est sauf cas particuliers, le droit exclusif pour chaque individu, sur son image et l'utilisation qui en est faite. On remarque donc que le droit de l’image est une partie intégrante du droit à l’image.

Un arrêt de la Cour de cassation rendu le 16 mars 2016 relatif à ce qu’on appelle le « revenge porn », en est illustratif et délimite d’avantage le droit de l’image.
Dans cet espèce, un individu prend en photo sa compagne, nue, enceinte, avec son accord. Leur relation prenant fin, l'auteur des clichés décide de les rendre public via notamment, les réseaux sociaux. Naturellement, la « victime » ne tarda pas à porter plainte.

Les juges du fond condamnent l’auteur des clichés au motif que le fait pour une personne d’avoir consentit  à se faire prendre une photo intime ne donne pas carte blanche à la publication de cette photo : « le fait, pour la partie civile, d’avoir accepté d’être photographiée ne signifie pas, compte tenu du caractère intime de la photographie, qu’elle avait donné son accord pour que celle-ci soit diffusée ».
L'inculpé se pourvoit en cassation.

La question à laquelle  la Cour de cassation était appelée à répondre était celle de savoir si la diffusion sans l’accord de l’intéressée d’une photo d’elle prise avec son consentement était pénalement répréhensible.

La chambre criminelle de la Cour de cassation répond par la négative et  casse l’arrêt de la Cour d’appel. Elle précise qu'en se déterminant ainsi alors que, «  n’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement »; la Cour d’appel a méconnu les règles du droit pénal.

Cette décision de la Cour de cassation est tout à fait justifiée en droit. Le délit visé par les juges du fond pour condamner l’homme est en effet celui de « fixer, enregistrer ou transmettre, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé » (art. 226-1 du Code pénal). La Cour de cassation, rappelant que la loi pénale est d’interprétation stricte, a donc raison de casser l’arrêt d’appel d'autant plus que la victime avait bien donné son consentement à la prise desdits photos.

Cependant, si toutefois l’arrêt n’est pas critiquable en droit il l’est dans son essence, dans sa moralité. La Cour de cassation a certes, pour mission de faire respecter le droit, mais elle sait aussi faire référence aux bonnes mœurs quand l’envie lui en prend (par exemple quand elle approuve le mari qui institue sa maîtresse légataire universelle, ne laissant à ses femme et enfant que leurs yeux pour pleurer). On l’eût su gré de faire aussi usage ici de son contrôle des bonnes mœurs…

Dans cet arrêt, la Cour refuse que soit condamné l’homme qui divulgue des photos de son ex nue. Autrement dit, on peut publier impunément des photos de son ex, dès lors qu’elle était d’accord pour que ces photos soient prises. N’empêche que la victime aie consentit ou non à cette publication.
Il s’en évince deux remarques :

Lorsque vous acceptez de vous faire prendre en photo en situation compromettante, sachez que vous acceptez en même temps que ce soit diffusé. La loi précise même que vous n’avez pas besoin de donner explicitement votre consentement, dès lors que vous étiez en mesure de le faire et que vous ne l’avez pas fait (art. 226-1 du Code pénal). A titre illustratif, si on vous prend en photo un samedi soir vers 2 heures du matin, où vous rigolez comme une tache devant le photographe et qu’il publie cette photo sur Facebook le lendemain, vous ne pourrez rien lui reprocher au pénal ; car non seulement vous acceptez tacitement que les photos soient publiées, mais votre acceptation vaut ad vitam aeternam ; ce qui signifie : pour l’éternité.

Le droit ne tient pas compte du temps qui court, des couples qui se font et se défont dans des circonstances pas toujours heureuses. Votre ex peut donc publier à son aise, toutes les photos de vous. Le plus drôle est que, s’il vous vient à l’idée de vous en plaindre devant le juge, ce sera à vous de prouver que vous n’étiez pas consentant(e), la charge de la preuve incombant au demandeur à l’action (Actori incumbit probatio).

La solution de la chambre criminelle de la cour de cassation soulève peut-être un autre débat : celui de la transmission. 
En effet si pour la haute juridiction, la diffusion n'entre pas dans le champ de la transmission, alors en quoi consiste celle-ci? et quid du partage? puisque le tiers aux faits qui partage la publication n'a certainement pas eu l'accord de la personne dont l'image a été publiée.

Néanmoins, il faut préciser que la solution de la Cour cassation ne vaut qu’en matière pénale.
En effet, si le droit pénal ne condamne pas ces pratiques, le droit civil lui, peut le faire.

Ainsi, la victime peut obtenir des dommages-intérêts si elle fait la démonstration que la publication de la photo lui a causé un dommage en établissant le préjudice subit et le lien de causalité.

Le droit et la morale sont aux antipodes l’une de l’autre, certes. Mais cette solution pourtant conforme au droit s’avère moralement très répugnante. Ce d’autant plus que les affaires de ce genre sont appelées à se multiplier vu l’essor de l’usage des réseaux sociaux.
Au demeurant, le droit n'est pas qu'un art, il est aussi une science et "la science, sans conscience n'est que ruine de l'âme". 

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